Privatiser, une bonne idée?
Privatiser, c’est à dire “l’action de transférer au secteur privé une activité, une entreprise qui appartenait au secteur public” selon le Larousse en ligne.
En ces temps très libéraux, la volonté du gouvernement Macron de privatiser le système des retraites en France (c’est du moins la trajectoire aisément devinée) , entre autres, m’a poussé à ressortir l’article que j’avais rédigé sur mon précédent blog… Le voici dans son intégralité.
Objectif privatisation
La privatisation, partout en Europe, comme salut pour nos sociétés! C’est en tout cas la direction prise par l’Union Européenne, avec ses nombreuses directives (en voici une pour illustration, elles sont toutes accessibles). Cela fait longtemps que ce sujet est abordé par nos médias, politiques, amis et collègues de travail. J’ai souvent l’impression que le débat est complètement bipolaire, gauche-droite, clivant.
Une discussion avec des collègues de travail lors d’une informelle pause m’a bien résumé une pensée largement répandue dans l’imaginaire collectif: le fonctionnaire est fainéant, bardé d’avantages que les salariés du privé n’oseraient envisager, et pour couronner le tout prend un malin plaisir à se mettre en grève pour paralyser la machine France.
Privatisation et croissance
La privatisation va de pair avec la croissance (un concept à développer, voici un lien en attendant). En effet, dans son dossier “Pourquoi il faut privatiser”, l’IFRAP (j’ai un peu fouillé au sujet de ce lobby) commence par dire que “ la redistribution politique par l’impôt ne fonctionne que s’il y a de la richesse à distribuer ; or, c’est l’échange – jeu à somme positive – et non la politique – jeu à somme nulle – qui produit ces richesses”. La croissance du PIB est effectivement un indicateur suivi de près pour légitimer l’action publique, malgré les nombreux reproches que l’on peut faire à cet indicateur dans la mesure où il ne prend pas certaines données essentielles au bien être des populations. Avant d’entrer dans les chiffres, dans le vérifiable, c’est dans le débat idéologique qu’il faut se plonger.
“Ils profitent du système”
Pour privatiser le bien public, ainsi que pour justifier de nombreuses mesures antisociales, il est pour moi important de détourner l’attention du public, ne rien “céder au fainéants”, comme l’avait très adroitement annoncé le Président de la République française M. Emmanuel Macron. S’agit-il des bénéficiaires du RSA, des fonctionnaires, ou encore des cheminots? Via les discours de politiques largement relayés par les médias généralistes, les idées libérales se frayent un chemin dans l’opinion publique: en guise d’illustration, d’après un sondage réalisé par Harris interactive pour RMC et Atlantico, près de sept Français sur dix (69%) sont pour la fin du statut de cheminot. Selon un autre sondage Elabe pour « Les Echos », Radio classique et l’Institut Montaigne, seulement 44% des Français souhaitent que l’Etat conserve ses participations au niveau actuel. La population française est donc divisée sur ce sujet.
Les disparités de revenus au cœur du débat
Essayons de dresser un portrait réaliste des bourses de la population française:
d’après un article en ligne du journal Le Figaro, et en laissant de côté les importantes disparités de salaires entre les hommes et les femmes (24% d’écart constaté, tout de même), le revenu moyen (et non médian) en France en 2015 était de 20 540€. Les cadres gagneraient en moyenne 2.6 fois plus que les ouvriers: la distinction de classe cols blancs vs. cols bleus (Adam Smith) serait donc toujours à l’ordre du jour.
Autre donnée à considérer: le revenu salarial annuel moyen dans la fonction publique est de 21 920€ (donnée de 2015, toujours d’après le Figaro), soit 6% de plus que le revenu moyen. En considérant que ce chiffre est une moyenne, qu’il prend en compte une catégorie professionnelle très large, est-ce que cette donnée permet de remettre en question la rémunération des fonctionnaires? Pour ma part, et au vu des grandes disparités de traitement dans la grande famille des fonctionnaires, je pense que non.
Les 1% les plus fortunés ont accaparé 82% des richesses créées l’an dernier.
Même si cela constitue une nette différence de traitement, pas de quoi y voir une fracture “riches/pauvres”: la vraie différence se situe dans l’écart avec les ultra riches. En effet, dans le monde, selon des données récentes et largement relayées par les médias en janvier 2018, les 1% les plus fortunés ont accaparé 82% des richesses créées l’an dernier.
Au niveau national, selon un article des Décodeurs (Le Monde), “malgré le système de redistribution (impôts et prestations sociales), les 10 % des Français les plus riches possèdent à eux seuls plus du quart des revenus, soit dix fois plus que les 10 % les plus pauvres”. Côté patrimoine, 1 % des Français les plus riches concentrent 17 % des richesses, mais les écarts peuvent devenir tout à fait vertigineux lorsque nous parlons des grandes fortunes (une milliardaire comme Madame Bettencourt possède combien d’années de SMIC? Réponse: 1.77 millions).
Pour clôturer cette argumentation, je cite un article de La Tribune (Par Alexandre Mirlicourtois, Xerfi
| 18/10/2017, 10:36): “Les riches, eux, vivent dans un monde où les moyennes n’ont plus de sens.
La distribution des salaires dans le privé en donne un bref aperçu : l’écart des rémunérations n’est pas proportionnel et plus on grimpe dans l’échelle des salaires, plus les écarts sont importants. En valeurs absolues, il y a plus de différence à l’intérieur des 10% qui gagnent le plus qu’entre le 1er et le 9e décile. C’est bien pourquoi il faut concentrer l’analyse sur les 1% les mieux lotis”.
Graphique maison, qui ne comprend que les salaires, et laisse donc de côté l’aspect patrimoine (comme les actions, possessions immobilières, etc.):
Ne soyons pas dupes: l’argent attire l’argent -c’est la loi du capitalisme- et cette progression n’est donc pas prête de s’enrayer, sauf sursaut citoyen important. C’est donc la détention de capital qui rend plus riche, et c’est bien sûr cette concentration de capitaux qui explique un accroissement des inégalités.
Considérant ces données, comment penser que privatiser serait une bonne chose pour la grande majorité des français, des européens, et du reste du monde?
Les rentiers n’ont pour l’instant pas trop de soucis à se faire, puisque l’esprit des français est occupé en priorité par des thématiques comme le terrorisme, l’immigration, ou encore le chômage (source Insee), la pauvreté n’arrivant qu’en 3ème position. Pour le chômage, “on s’en occupe”: les gouvernements successifs ont beaucoup traité le sujet, entre la stigmatisation des chômeurs (et plus récemment M. Macron, qui prônait plus de flexibilité) et la précarisation des emplois.
Sans pouvoir corréler statistiquement (quelqu’un me donnera peut-être un lien, un article?) privatisations et explosion des inégalités, je pense que le raisonnement suivant nous permettra d’y voir plus clair:
Prenons l’exemple des autoroutes françaises.
Selon le Sétra, un kilomètre d’autoroute coûte en France environ 6,2 millions d’euros ; coût auquel il fautajouter celui de l’entretien (de 70 000 à 100 000 euros/an et par km).
D’un côté, le contribuable paie pour la construction d’une autoroute (investissement initial) puis pour son entretien avec des fonctionnaires (coûts récurrents). Hormis les péages installés sur l’autoroute le temps de son remboursement (qui, au vu des dépenses engagées, et parfois de choix d’implantations douteux, peut effectivement être assez long), le coût de l’autoroute est supporté par le contribuable sous la bonne gestion du gouvernement. Du service public, en somme!
De l’autre côté, nous avons le système “privatisé”: bien que le contribuable aie déjà craché au bassinet, ce sont des sociétés privées qui se voient octroyer la gestion des routes, prélevant leur marge au passage. Le recours à la sous-traitance et les contrats de travail plus souples que ceux des fonctionnaires permettront peut-être de diminuer les coûts? Certainement! Mais encore une fois, ce ne sera pas l’utilisateur de l’autoroute qui profitera de cette baisse de coûts mais bien les actionnaires des sociétés autoroutières. Alors certes, les travaux sont assurés par les sociétés qui entretiennent le réseau, mais les dépenses n’ont rien à voir avec les recettes engrangées Et nous pouvons également nous demander si ces entreprises ont pour principale préoccupation la sécurité des usagers, avec des indices récents comme la catastrophe annoncée de l’effondrement du pont Morandi en Italie.
Pour apporter un autre argument en faveur de la non-privatisation: le service public n’est pas fait pour être rentable, mais bien pour améliorer la vie des citoyens. C’est un coût supporté par tous, mais accessible à tous également, selon la -à priori- vétuste devise: “liberté, égalité, fraternité”. Si la poste était privatisée, pensez-vous que ses actionnaires maintiendraient les services non rentables? Et oui, votre grand mère perdue dans le Cantal pourrait ne plus recevoir la visite bienveillante de sa factrice, soumise à une obligation de performance.
Le pouvoir change de camp: plus nous privatisons, plus nous sommes soumis aux tarifs des entreprises privées. Mais ne vous inquiétez pas: la concurrence, grâce à la main invisible décrite par Adam Smith, amènera naturellement les prix vers le bas! Sauf si ces fameuses entreprises fusionnent (illustration de Monsanto, avalé par Bayer), vous trompent sur la marchandise ou s’entendent pour maintenir des marges confortables (exemple 1 et 2…).
On a récemment abordé la théorie du “ruissellement” dans les médias. Théorie selon laquelle l’enrichissement des (déjà) riches profiterait en cascade aux personnes moins fortunées, en leur offrant du travail de part la consommation. Mais au vu des chiffres vus ci-dessus, cette théorie est je pense à envoyer à la poubelle…
Dernier argument que vous entendrez: les entreprises paient des impôts (pléthore d’impôts d’ailleurs), qui bénéficient à tous et alimentent les caisses publiques. Vous me voyez venir… Je répondrais “évasion fiscale”! Même si le chiffre est difficile à savoir précisément, les récentes affaires, au sein des cercles du pouvoir (notre fameux Jérôme Cahuzac) comme dans nos multinationales et banques (Panama Papers).
Comme le dit si bien le dossier de l’IFRAP: “privatiser ne doit pas conduire à laisser s’installer la loi de la jungle ou la dictature des mafias”.
La meilleure solution est peut-être bien de ne pas privatiser, dans ce cas.
1 commentaire
J’ai cru que c’était un article pro-privatisation au départ, j’étais prêt à dégainer le fusil! Mais finalement, nous sommes d’accord! Bon exemple avec les autoroutes, on se fait tondre comme des moutons
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